Le 11 novembre dernier, France
2 diffusait le téléfilm Blanche
Maupas retraçant le
combat que mena cette veuve pour la réhabilitation de son mari, Théophile
Maupas, caporal fusillé en 1915 à la
suite de sa condamnation à mort par un conseil de guerre. Cette exécution
« pour l’exemple », une parmi tant d’autres au cours de la Grande
guerre, fut le fait d’un homme, le général
Réveilhac, une fameuse ganache dont nous
allons voir la belle vie.
Né en 1851 à Aurillac, Géraud
François Gustave Réveilhac a fait toute sa carrière dans l’armée : passé
par l’École spéciale militaire, il est sous-lieutenant en août 1870. Prisonnier
des Prussiens en décembre de cette année, libéré dès le 8 janvier, il peut
participer à la répression de l’insurrection communaliste de Limoges au mois d’avril 1871, un excellent point pour qui
aspire aux sommets de la ganacherie ! D’ailleurs, Réveilhac récolte les
éloges de ses supérieurs qui n’hésitent pas à voir en lui un « officier
d’avenir ». Cette pluie de compliments dont son dossier militaire fait
état n’empêche pas quelques cocasses punitions pour des faits bénins qui n’en
révèlent pas moins ses immenses talents : 2 jours d’arrêts pour n’avoir pas
tenu compte des instructions données, 4 jours d’arrêts pour avoir « exagéré
le chargement de ses mulets » empêchant le convoi régimentaire de prendre
sa place dans la colonne de marche, 4 jours d’arrêts pour un « retard
considérable dans l’instruction de sa compagnie », etc…
Régulièrement promu au cours des
années, il part en Indochine en 1889 où
il commande une compagnie. Là-bas, son supérieur note déjà à son propos:
« commandement ferme, caractère un peu ombrageux, s’entête souvent sur une
idée mais toujours discipliné ». Fait général de brigade en 1904,
Réveilhac s’apprête à prendre sa retraite en 1914 lorsque la guerre éclate… Il
a alors 63 ans et la patrie va hélas bénéficier de ses lumières.
La valse des généraux opérée par
le bon Joffre permet à Réveilhac d’être
promu général de division à titre temporaire le 6 octobre 1914. Il reçoit alors
le commandement de la 60e division d’infanterie de la IVe armée et ne tarde pas à montrer l’étendue de ses talents au cours de ce qu’il
est convenu d’appeler « l’affaire de Souain ».
Le 7 mars 1915, le général
Réveilhac donne l’ordre d’attaquer le village de Souain. Déjà démoralisée par une succession de combats
aussi meurtriers qu’infructueux, une compagnie du 336e régiment
d’infanterie refuse de monter à l’assaut après avoir encaissé un bombardement
de sa propre artillerie, comme si souvent incapable de viser juste. Il est
évident que l’attaque est vouée à l’échec tant le terrain est défavorable et
les soldats font preuve du plus parfait bon sens en désobéissant. Mais cette
ganache de Réveilhac s’entête (on l’avait dit !) et, faute d’être obéi,
ordonne de tirer délibérément sur la tranchée pour en faire
sortir les malheureux poilus : une idée de génie qui rappelle les
excellents principes de l’armée soviétique. Cet ordre est pourtant
miraculeusement refusé par le colonel commandant l’artillerie qui estime
peut-être avoir déjà suffisamment bombardé par erreur. Réveilhac, furieux, réclame des sanctions contre
les « lâches » et obtient qu’une trentaine d’hommes soient
déférés devant un conseil de guerre avec ce motif digne de la presse cocardière
d’alors : « refus de bondir hors des tranchées » (ça ne s’invente
pas). C’est ce conseil de guerre qui, truqué de bout en bout, condamne quatre
caporaux pour « faire des exemples ». Théophile Maupas, instituteur,
soldat exemplaire, est du lot. Son épouse ne parviendra à le réhabiliter que
vingt ans plus tard…
En attendant, notre brave
Réveilhac continue d’exercer son commandement avec tout le savoir-faire qu’on
lui connaît. Tout va très bien pour lui jusqu’au mois de février 1916 où l’état
major, qui se pose enfin quelques questions au sujet de ce grand stratège, le
relève de ses fonctions. Une lettre confidentielle du général Joffre est assez
explicite là-dessus : « cet officier général […] paraît être arrivé à
la limite de ses capacités physiques et intellectuelles ». On ne saurait
mieux dire.
Cependant, Réveilhac n’est
nullement destitué. « Contraint » à un congé de trois mois, il reçoit
à son retour le commandement d’une section de réserve où il termine
tranquillement la guerre. Bien mieux, on juge nécessaire de le décorer pour ses
hauts faits et le voilà grand officier de la Légion d’honneur ! Sa
citation est quant à elle un modèle d’élégance : « officier général
de haute valeur, possédant de brillants états de service ; a fait preuve
depuis le début de la campagne, dans le commandement d’une division, des
meilleures qualités militaires ».
La retraite paisible de cette
ganache n’est troublée que par le scandale que provoque la révélation de
l’affaire des caporaux de Souain, en 1921. Sa conduite ayant été dénoncée
jusque dans la presse militaire, le général daigne prendre sa plume pour écrire
une longue lettre de justification dans laquelle il nie les « ordres
fantaisistes » qu’on lui prête, se retranche derrière ceux de
l’état-major, tout en accablant avec beaucoup de classe les hommes du 336e régiment, dont le refus d’obéissance aurait selon lui entraîné la mort de leurs
camarades du 201e régiment partis bravement à l’assaut :
« Hélas ! On semble les avoir oubliés pour réserver à d’autres toute
la pitié, peut-être au détriment de la justice ! » écrit-il dans sa
pathétique conclusion (notez le « peut-être » qui laisse entendre que
le conseil de guerre a pu se tromper…). Cette missive est censurée par le
ministre de la guerre, Louis Barthou,
qui s’en explique sans ambages dans une lettre de refus : « il ne me
paraît pas opportun de publier cette réponse qui alimenterait fâcheusement la
notoriété déjà trop grande donnée à cette affaire ». L’armée tente comme
elle peut d’étouffer le scandale.
Pendant que la veuve du caporal
Maupas lutte pour la réhabilitation de son mari et des trois autres caporaux
fusillés, le général Réveilhac n’est évidemment pas poursuivi en dépit de
toutes les révélations évoquées. À Nantes, il achève ses jours en toute
quiétude et, conformément au code des ganaches, c’est dans son lit qu’il meurt
le 26 février 1937. À 86 ans.
KLÉBER
Source : dossier militaire
du général Réveilhac (SHAT, Vincennes).
Images : général Réveilhac,
on distingue son extraordinaire moustache (source ici), articles de L’Humanité des 20 et 22 mai 1921 (source Gallica).