mercredi 31 mars 2010

Ganache du mois : Weygand

Il y a parfois des signes qui ne trompent pas. Le général Maxime Weygand, dont la naissance de père et mère inconnus a toujours suscité les plus folles hypothèses — il serait le fils adultérin de l’impératrice Charlotte, épouse du malheureux empereur Maximilien mort au Mexique — et sur le compte duquel on est allé jusqu’à supposer qu’il était le descendant de Napoléon Ier, le général Weygand, donc, fut déclaré à l’état civil comme né le 21 janvier 1867 à Bruxelles, boulevard de Waterloo. Quel plus funeste signe pour un futur généralissime des armées françaises ?
Entré à Saint-Cyr comme "élève étranger", le jeune Maxime obtient la nationalité française en 1888 grâce à la reconnaissance d’un dénommé François Weygand qui, faute d’être son père, même spirituel, lui donne au moins un nom et une patrie. Ses qualités d’officier lui valent d’être nommé lieutenant-colonel de hussards peu avant le début de la Première Guerre mondiale. C’est à la suite des limogeages en série opérés par cette vieille baderne de Joffre que Maxime Weygand accède au titre de colonel, avant d’obtenir en 1916 le grade de général. Il entre alors à l’état major du général Foch dont la gloire ne doit pas faire oublier qu’il fut à ses heures un impitoyable partisan de l’offensive à tout prix, avec toutes les conséquences que cela implique. Très vite, Weygand devient l’âme damnée du futur maréchal et l’accession au poste de généralissime des armées alliées de ce dernier le propulse sur le devant de la scène, notamment lors des négociations pour l’armistice en 1918. La brusque célébrité de Weygand ne doit donc rien à son intrépide courage à la tête des troupes…
En 1920, il est envoyé en Pologne pour venir en aide à Pilsudski dont les troupes se débandent devant l’armée rouge de Trotski. Dès son arrivée, la situation se rétablit miraculeusement avec la bataille de Varsovie. Mais les Polonais ne reconnaissent pas lui devoir quoi que ce soit. Et le rôle de Weygand reste une fois de plus secondaire…
Chef d’état-major général de l’armée en 1930, notre homme succède à Joffre au club des ganaches, puisqu’il entre à l’Académie française le 11 juin 1931. Ses mises en garde contre le réarmement de l’Allemagne nazie ne doivent pas faire oublier qu’en juillet 1939, il déclare avec la tranquille assurance des grands stratèges : 
« Je crois que l’armée française a une valeur plus grande qu’à aucun moment de son histoire. Elle possède un matériel de première qualité, des fortifications de premier ordre, un moral excellent et un Haut-Commandement remarquable. Personne chez nous ne désire la guerre, mais j’affirme que si on nous oblige à gagner une nouvelle victoire, nous la gagnerons. »
Justement la guerre éclate. Et dès le 19 mai 1940, lorsque la percée allemande est devenue inéluctable, on rappelle à grands cris Weygand, 73 ans, qui se trouve alors en Syrie où il a reçu le commandement des troupes françaises du Moyen-Orient. Reconnaissons honnêtement qu’il est déjà trop tard pour réparer le désastre enclenché par son prédécesseur, le misérable Gamelin dont nous reparlerons bientôt. Mais faut-il pour autant oublier le rôle que tient Weygand dans cette historique débâcle ? Tandis que les panzers allemands font la course sur les routes de France grand ouvertes, que le Luftwaffe bombarde à qui mieux mieux les civils et les soldats en déroute, le général Weygand se charge de signer une importante instruction sur le tir au fusil contre les chars dans laquelle il explique sans rire que le fusil Lebel constitue une arme redoutable pour venir à bout d’un panzer. Une fois de plus, notre général en chef a une guerre de retard…
Début juin, après avoir pontifié une dernière fois — « La bataille de France est commencée. […] Accrochez-vous au sol. Ne regardez qu’en avant. En arrière, le commandement a pris ses dispositions pour vous soutenir » — Weygand fait pression auprès du chef du gouvernement Reynaud pour obtenir un armistice plutôt qu’une capitulation qui déshonorerait l’armée (mais comment était-ce encore possible ? se dit-on). Il est récompensé de ses efforts par un poste de ministre de la Défense nationale au gouvernement de Vichy. Puis, expédié en Algérie, il s’occupe d’y appliquer avec zèle les lois raciales, ce qui n’a finalement rien de surprenant de la part d’un ancien antidreyfusard (il signa en son temps la souscription en faveur de la veuve du colonel Henry, l’auteur du « faux patriotique »). Pour autant, cette ganache trouve le moyen de se brouiller avec tout le monde, Anglais comme Allemands, tant il s’imagine que la France a encore une importance de premier plan dans la guerre. Son cas est momentanément réglé lorsque les Allemands le font prisonnier après l’occupation de la zone libre en novembre 1942. Mais libéré en 1945, il passe devant la Haute-Cour de justice où il bénéficie  d’un non-lieu malgré les sévères accusations qui pèsent sur lui. Le général Weygand n’est pas plus inquiété pour son siège à l’Académie, alors même que Maurras ou Pétain en ont été chassés. Il n’y a donc rien d’extraordinaire à relever qu’il meurt en 1965, à l’âge de 98 ans, après une paisible retraite passée à écrire ses mémoires et à défendre l’honneur du maréchal Pétain.

KLÉBER

Images : le général Weygand dans toute sa splendeur (source ici) et en peinture (source ici). Une du Figaro du 20 mai 1940 annonçant l'entrée en fonction du général Weygand à la tête des armées (source Gallica).
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9 commentaires:

  1. Finalement, Weygand a joué les seconds couteaux toute sa vie, expédié dans des terres inhospitalières et pour des missions ingrates, il n'a pas pu donner la pleine mesure de son talent. Certes rétrospectivement, il fut toujours du mauvais coté, sûrement la faute à pas de chance, mais jamais de manière décisive. C'est une sorte de suiviste à bien y regarder, toujours en retard d'une guerre, comme vous le dites bien. Mais il restera cette phrase immortelle : "si on nous oblige à gagner une nouvelle victoire, nous la gagnerons" une bonne devise de ganache !

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  2. C'est assez pathétique cette Une du fig. Surtout le titre "d'émouvantes prières publiques pour la victoire des alliés" voila à quoi on en était réduit. Sans oublier la "cinquième colonne" anglaise.
    En Mai 40 le journalisme était d'une autre trempe !

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  3. on est content de retrouver la fameuse moustache des ganaches, qui nous avait un peu manqué. Et même si, à mon avis, la dernière pinup n'en était pas dépourvue, c'était une bien maigre consolation.

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  4. Oui, Weygand a toujours joué les seconds couteaux. Comme disait de Gaulle, c'était "un excellent second". C'est pourquoi il aurait fallu y réfléchir à deux fois avant de le bombarder généralissime… Mais il avait été l'adjoint de Foch, et à ce titre toute la France le prenait pour un génie… Le résultat principal de son commandement a mené à l'armistice, car il n'était pas question pour lui de poursuivre la lutte dans l'empire.

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  5. Voici l'extrait des mémoires du général de Gaulle qui fait le portrait du général Weygand :

    "Weygand était, en effet, par nature, un brillant second. Il avait, à ce titre, admirablement servi Foch. Il avait, en 1920, fait adopter par Pilsudski (3) un plan qui sauva la Pologne. Il avait, comme Chef d’état-major général, fait valoir avec intelligence et courage, auprès de plusieurs ministres et sous leur autorité, les intérêts vitaux de l’armée. Mais, si les aptitudes requises pour le service d’état-major et celles qu’exige le commandement ne sont nullement contradictoires, elles ne sauraient être confondues. Prendre l’action à son compte, n’y vouloir de marque que la sienne, affronter seul le destin, passion âpre et exclusive qui caractérise le chef, Weygand n’y était, ni porté, ni préparé. D’ailleurs, qu’il y eût en cela l’effet des ses propres tendances ou d’un concours de circonstances, il n’avait, au cours de sa carrière, exercé aucun commandement. Nul régiment, nulle brigade, nulle division, nul corps d’armée, nulle armée, ne l’avaient vu à leur tête. Le choisir pour prendre le plus grand risque qu’ait connu notre histoire militaire, non parce qu’on l’en savait capable, mais sous prétexte « qu’il était un drapeau », ce fut le fait de l’erreur, - habituelle à notre politique, - qui s’appelle la facilité.

    Du moins, dès qu’il fut reconnu que le général Weygand n’était pas l’homme pour la place, il eût fallu qu’il la quittât, soit qu’il demandât sa relève, soit que le gouvernement en prît, d’office, la décision. Il n’en fut rien. Dès lors, le Généralissime, emporté par un courant qu’il renonçait à maîtriser, allait chercher l’issue à sa portée, savoir : la capitulation. Mais, comme il n’entendait pas en assumer la responsabilité, son action consisterait à y entraîner le pouvoir. Il y trouva le concours du Maréchal qui, pour des raisons différentes, exigeait la même solution. Le régime, sans foi ni vigueur, opta pour le pire abandon. La France aurait donc à payer, non seulement un désastreux armistice militaire, mais aussi l’asservissement de l’Etat. Tant il est vrai que, face aux grands périls, le salut n’est que dans la grandeur."

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  6. Outre que je trouve cet article fort méchant pour ce malheureux Weygand, qui, au fond, n'était pas un mauvais bougre - sot peut-être, mais pas méchant -, je me permets de relever une incongruité syntaxique que je n'hésiterais pas à qualifier d'erreur si j'étais sûr du sens qu'a voulu donner l'auteur à sa phrase :
    "grandes ouvertes" : ne devrait-on pas lire plutôt "grand ouvertes" ? ("grand" n'étant pas un adjectif appliqué au mot "routes")

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  7. On ne lit apparemment pas la même chose dans cet article. Le terme de "ganache" semble tout à fait adapté pour parler d'un type comme lui. Sa biographie est amusante, mais je n'irai pas plus loin.

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  8. @ BBC
    C'est tout à fait exact en ce qui concerne la grossière erreur que vous relevez. Je fais donc un mea culpa et vous remercie pour votre vigilance.
    Je ne peux pas être d'accord, en revanche, sur votre jugement concernant Weygand ("malheureux", "pas un mauvais bougre"). Il ne fait aucun doute que notre homme, par son action auprès du gouvernement de Vichy, par sa vision bornée du rôle de la France à cette époque, par ses préjugés et l'immutabilité de ses principes, par sa mort tranquille et tardive, par sa moustache, par la retentissante défaite qu'il signa de son nom, etc., fut une fameuse ganache. D'ailleurs, point sur lequel nous serons d'accord, une ganache n'est pas forcément un méchant homme. C'est en effet, et avant tout, un sot.

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  9. Mettons que nous ne tomberons jamais d'accord au sujet de notre homme.
    Quant à la petite erreur de grammaire, elle est bien excusable et presque naturelle : on la trouve partout, dans tous les imprimés, journaux aussi bien que livres de littérature. Seule la qualité de votre blog m'a autorisé à vous en faire la remarque...

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