jeudi 18 octobre 2012

Retour sur l'affaire des deux poils d'Henri IV

Voici trois ans, Lorànt Deutsch publiait son fameux best-seller Métronome. Dès cette époque, à la suite d'une émission télévisée où l'auteur faisait sa promotion, les Septembriseurs signalaient une erreur historique flagrante qui augurait mal de la qualité générale de l'ouvrage.
En effet, Lorànt Deutsch racontait dans son livre comment Robespierre, lors du sac de la nécropole royale de Saint-Denis (août et octobre 1793), aurait arraché deux poils de la barbe du cadavre d'Henri IV. Cette grotesque assertion n'avait alors pas le moins du monde dérangé un homme comme Éric Zemmour, pourtant d'ordinaire si prompt à déplorer l'ignorance contemporaine. Bien au contraire, l'anecdote avait fait le ravissement des uns et des autres sur le plateau de l'émission de Laurent Ruquier. Or, comme nous le démontrions dans notre article sans même insister sur l'énormité qu'eût constitué pour Robespierre la collection de reliques royales, celui-ci ne fut pas présent lors des événements en cause. Faute de détails, faute surtout d'une bibliographie, nous concluions en nous demandant où Lorànt Deutsch avait bien pu aller chercher une histoire si romanesque.

Depuis, le livre s'est vendu partout, tant et si bien que M. Deutsch a même pu en tirer un documentaire, un livre illustré et, last but not least, la médaille de la ville de Paris décernée par M. Delanoë, toujours aussi lucide en matière de jugements historiques ! Cependant, le succès devenant par trop extraordinaire, de nombreuses critiques ont enfin osé s'élever à l'égard d'un ouvrage qui, jusqu'ici, n'avait rencontré qu'un unanime engouement. Outre le problème posé par le parti pris de l'auteur, tout empreint de ses opinions royalistes revendiquées, c'est aussi sur les faits historiques rapportés que le scandale éclata, car inutile de dire que l'erreur que nous dénoncions en 2009 n'était que l'arbre qui cache la forêt. Sur son site Goliards, M. William Blanc, doctorant en histoire, a été l'âme de la révolte. Recensant les signalements de plusieurs internautes, il est notamment parvenu à dresser une liste - non exhaustive - des approximations, falsifications et autres erreurs commises par l'auteur de Métronome. Ce dernier, piqué au vif, a répondu par le plus cinglant mépris à ces accusations, refusant systématiquement le débat équitable proposé par M. Blanc. Le Front de Gauche ayant de son côté décidé de médiatiser la polémique, M. Deutsch put s'en tirer en déclarant que l'affaire était une basse instrumentalisation politique. C'était, on en conviendra, une facile mais efficace dérobade.

Le temps de la polémique semble donc révolu. En discréditant ses critiques sous les qualificatifs les plus divers (étudiant, gauchiste, politique, etc.), Lorànt Deutsch est parvenu à sauver les meubles et nul doute que son livre continue de se vendre comme des petits pains. La meilleure preuve en est qu'il entame en ce moment une énième tournée promotionnelle pour sa nouvelle œuvre, une bande-dessinée historique. Néanmoins, la polémique a fait date. Les zélés présentateurs qui contribuent à sa promotion signalent désormais la ridicule conjuration fomentée par une clique d'historiens gauchistes, signalement qui permet à l'intéressé d'y aller de son couplet d'honnête homme lâchement attaqué par des adversaires politiques. Ainsi est-ce très exactement ce qui s’est passé pas plus tard que mercredi 17 octobre, dans l'émission « C à vous » sur France 5. Comme il n'y a au fond que cette calomnie sur Robespierre qui nous intéresse vraiment, quelle ne fut pas notre fierté lorsqu'elle fut citée en exemple par Alessandra Sublet, présentatrice de l'émission, en ces termes éminemment flatteurs* :
"À l'époque les historiens avaient souligné qu'il y avait certaines erreurs. Fallait quand même aller chercher loin. J'ai un exemple qui est quand même énorme : Robespierre aurait coupé des poils de la barbe du cadavre d'Henri IV, ce que n'atteste aucun historien. Ils vont chercher la petite bête !"
Eh oui, nous sommes un peu scrupuleux quand il s’agit d’une prétendue vérité historique ! Or voici que, miracle ! M. Deutsch, après une parenthèse édifiante sur la partialité des critiques, fit la réponse suivante que nous attendions depuis trois longues années :
"Quand on me dit, par exemple, Robespierre je l'invente. Je l'invente pas. C'était dans les collections du magazine Historia, les collections royales de Robespierre. Il avait des petites collections comme ça. Je me suis amusé à l'imaginer, à partir de ce que j'avais lu, dans la nécropole des rois de France à Saint-Denis en train de prendre la barbe. On pourra le contester comme on veut."
En dépit de l'inintelligibilité partielle de cette réponse, il sera en effet facile de contester l'anecdote puisque l'auteur, tout en prétendant ne l'avoir pas inventée, reconnaît aussitôt et fort tranquillement s'être "amusé à l'imaginer" après une lecture de la revue Historia dont on connaît, hélas, les vilains défauts. Un aveu aussi lumineux sur une méthode de travail pour le moins curieuse méritait en tout cas d'être signalé car, une fois de plus, personne n’a eu l’air de s’en formaliser. Ne reste plus qu'à dénicher ledit numéro d'Historia pour voir dans quelles proportions l'imagination deutschienne a fait de l'histoire un roman. L'enquête des Septembriseurs continue !

KLÉBER

* Voir l'émission à partir de la 48e minute environ.


Images : couverture du livre Métronome (source ici), détail d'une gravure représentant Henri IV exhumé en 1793 (source ici).
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4 commentaires:

  1. D'abord, permettez-moi de me réjouir de cette petite reprise d'activité.
    Maintenant, toutefois, je dois avouer une certaine déception : ce ton de persiflage était-il vraiment nécessaire ? Le sujet était déjà peu aimable pour M. Deutsch, fallait-il vraiment enfoncer le clou en se montrant désagréable ? Néanmoins, c'est non sans impatience que j'attends la suite de votre enquête...
    Au demeurant, cela me rappelle une histoire romaine, où un barbare ayant tiré la barbe d'un respecté vieillard déclencha un véritable massacre...

    Bien à vous.

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  2. frenchement au lieux de critiquer, vous avez qu'à essayé d'écrire aussi un livre ! c vachement intérressent ce qu'il dit dedans j'ai appri plein de trucs ! en plus il est beau et c un super acteur !!

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  3. "Au demeurant, cela me rappelle une histoire romaine, où un barbare ayant tiré la barbe d'un respecté vieillard déclencha un véritable massacre..."

    Je suppose que vous faites allusion à l'épisode du guerrier gaulois qui, lors du sac de Rome par Brennus en 390 av. JC, aurait jugé cocasse de tirer la barbichette d'un des sénateurs restés assis à son siège et qui reçut en réponse de celui-ci un coup de bâton, lui-même suivi de l'égorgement général ?
    Or, selon un article lu dans le numéro 76 de juillet 1953 d'Historia (dont, je me flatte d'être un fidèle lecteur et collaborateur), on sait que d'après Pline l'ancien, les romains renoncèrent au port de la barbe et de la moustache à partir de 454 avant notre ère. Il est donc scientifiquement prouvé que cette histoire est tout à fait fictive et que les gaulois massacrèrent les malheureux sénateurs par pure fantaisie.
    M. Deutsch, tout comme ses détracteurs gauchistes - à commencer par le pseudo-Kléber ou l'invraisemblable BBC - serait donc bien inspiré de se mettre à l'école de la rigueur scientifique et historique incarné par un journal comme Historia et de prendre un peu de hauteur au lieu de scruter les problèmes par le petit bout de la lorgnette !

    Jean-Henry de Lamaze

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  4. C'est bien là l'épisode auquel je faisais référence. Au demeurant, je n'ai pas prétendu que cette histoire était vraie, puisqu'au contraire je disais que les élucubrations de M. Deutsch, par leur aspect fantaisistes et capillaires, me la rappelaient.
    Apprenez donc un peu à lire correctement ceux que vous voulez critiquer, monsieur de Lamaze, et mettez-vous à l'école de la bonne éducation et de la politesse, deux choses indispensables que l'on n'apprend visiblement pas à Historia !
    Je passerai sous silence vos insultes ad hominem, qui pourtant ne vous font pas honneur.

    Je ne vous salue pas, Monsieur.

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